Note de position d’Aluminium France sur le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF)
Propos liminaires
L‘aluminium est classé comme métal stratégique par la commission européenne, il est donc prioritaire de considérer tous les impacts d’un nouveau dispositif sur sa chaine de valeur qui pourrait engager une perte de souveraineté de l’union européenne. Aluminium France soutient l’objectif climatique européen d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Avec une empreinte carbone parmi les plus faibles du monde (4.5 tCO2/tonne d’aluminium primaire produite par rapport à une moyenne mondiale de 17 tCO2/t), la production française d’aluminium primaire participe activement à l’atteinte des objectifs climatiques. Cette performance bénéficie à l’ensemble de la filière, par ailleurs déjà très engagée dans sa trajectoire de décarbonation (recyclage, feuille de route décarbonation, solution de décarbonation dans ses applications…). L’industrie de l’aluminium est energo-intensive et soumise à la concurrence internationale ce qui la classe comme prioritaire et lui permet d’utiliser les mécanismes européens de lutte contre les risques de fuites carbones : Quotas gratuits et la Compensation des Coûts Indirects. Ces dispositifs sont vitaux pour permettre à l’industrie de l’aluminium de maintenir ses activités sur le territoire français et de rester compétitive par rapport à la concurrence internationale, non soumise à des réglementations comparables. Or, la montée en charge du MACF s’accompagne, dès 2026, de la disparition progressive1 des quotas gratuits et crée de l’inflation sur une partie de la chaine de valeur. Cette note de position vise à identifier les problématiques liées à la structure actuelle du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, formuler des propositions d’amélioration et conclure sur les demandes de l’industrie de l’aluminium.
MACF : Problématiques identifiées dans sa conception actuelle et proposition associée
La problématique de perte de compétitivité
Le MACF n’est pas le bon outil pour contrer les fuites de carbone car il pénalise la compétitivité de l’industrie de l’aluminium européenne, en particulier les recycleurs et les fabricants de demi-produits.
En effet, le MACF augmente les coûts du métal pour les recycleurs, lamineurs et extrudeurs européens, L'aluminium est un marché où le prix du marché intérieur européen reflète le coût de l'importation marginale qui équilibre l'offre et la demande, via la prime européenne locale à payer en plus du prix mondial de l'aluminium du London Metal Exchange. La prime locale intégrera la taxe carbone payée par l'importateur ou le producteur le plus émetteur. Cela rendra la production européenne de produits recyclés, laminés et extrudés moins compétitive par rapport aux importations, qui, dans la conception actuelle, supporteront les coûts du MACF sur la base des émissions réelles intégrées dans les produits importés (plutôt que sur la base du producteur/importateur le plus cher, comme les producteurs européens).
La problématique du contournement
L’application du MACF à l’aluminium a pour effet d’accroître le prix de la matière première en Europe pour l’ensemble des industries de transformation du secteur.
Il s’agit au premier stade des producteurs de demi-produits, mais aussi en aval de secteurs entiers qui intègrent l’aluminium dans les produits finis (automobile, construction, emballage, aéronautiques...). Ces secteurs, soumis à une concurrence mondiale, seraient lourdement exposés à un risque de délocalisation dès lors que tous les produits contenant de l’aluminium ne seraient pas intégrés dans le MACF.
En d’autres termes, il serait moins cher d’importer des produits qui contiennent de l’aluminium plutôt que de les produire en Europe avec de l’aluminium européen. Avec l’aval, c’est toute la chaîne de l‘aluminium classée comme stratégique qui pourrait se délocaliser dans des pays non sujets à des réglementations carbones similaires, avec comme conséquence la perte de souveraineté, la désindustrialisation et les fuites de carbone.
Les propositions d’aluminium France pour rendre le MACF efficace :
Proposition N°1 : Sortir l’aluminium de la phase pilote de mise en oeuvre du MACF, et ne pas baisser l'allocation de quotas gratuits tant que les solutions de décarbonation ne sont pas opérationnelles.
Remarque : Les allocations de quotas gratuits permettent de maintenir la compétitivité des usines françaises et européennes. Elles pourront disparaître seulement si les solutions de décarbonations sont développées et efficace.
Ensuite, si l’aluminium devait être conservé dans la phase pilote, Aluminium France considère que les différentes propositions ci-dessous devraient être prises en compte :
Proposition N°2 : Ne pas inclure les émissions indirectes
L’intégration des émissions indirectes augmente fortement le risque de contournement. Les possibilités de contournement, voire de fraude, sont particulièrement importantes sur la déclaration des émissions indirectes, difficilement traçables, avec peu de moyens de contrôler les données communiquées par les exportateurs.
De plus, les pays producteurs d’aluminium avec des émissions indirectes fortement carbonées vont réserver leur production peu ou pas émettrice en carbone au marché européen, et conserver la production carbonée pour leur marché intérieur, ou aux autres marchés présentant moins de contraintes environnementales. Ce risque est connu sous le terme de « ressource shuffling ». Double conséquence, l’empreinte carbone des importations européennes est diminuée de manière artificielle, tout en ayant un effet neutre sur les émissions mondiales, et sans que ces importations ne génèrent les flux financiers escomptés vers l’Europe.
La prise en compte des émissions indirectes entrainerait la fin de la compensation des coûts indirects du carbone, pourtant vitale en raison des coûts élevés de l’électricité. Cette compensation des coûts indirects permet de maintenir la compétitivité de l’industrie de l’aluminium et le maintien de son activité sur le territoire français (et européen) face à une concurrence internationale, non soumise à des réglementations comparables.
L’intégration des émissions indirectes, sans preuve que le MACF se substitue à la compensation des coûts indirects, fait porter un risque réel de fuite de carbone.
Le MACF prévu actuellement fera augmenter le prix européen de l’aluminium pour toute la chaine de valeur contrairement aux matériaux concurrents. L’inclusion des émissions indirectes engendrerait un coût de l'aluminium trop élevé pour être transformé en Europe2. Cela conduirait à une fuite de carbone encore plus importante : la production de produits à base d'aluminium serait délocalisée dans des régions où le coût du carbone n'est pas équivalent, tandis que l'Europe importerait les produits finis (voitures, avions). Cela mettrait en péril l'ensemble de l'industrie européenne de l'aluminium, à l'opposé de l'objectif du MACF. Par conséquent, les émissions indirectes ne devraient pas être incluses dans le MACF.
Proposition N°3 : Utiliser une valeur par défaut pour la production primaire et secondaire.
Dans sa configuration actuelle, le MACF représente une opportunité économique pour les importateurs et les producteurs extra européens. En effet, lorsque des entreprises hors Europe vendent des produits couverts par le MACF à l’Europe, elles le font sur le même marché que leurs concurrents européens. Elles obtiendront donc le même prix sur le marché que leurs homologues européens. Par conséquent, lorsque leur redevance MACF est inférieure au coût du carbone intégré dans le prix du métal dans l’Europe, la différence entre cette faible redevance MACF et le coût du carbone et des matériaux bien plus élevé en Europe représente un profit opportun pour les entreprises hors Europe. Cette différence pourrait être accentuée par une faible redevance MACF pour les émissions liées au recyclage. Incitant les entreprises hors Europe à utiliser leurs capacités de recyclage en priorité pour le marché européen.
Pour que le MACF apporte une réponse efficace aux importations d’aluminium contenant une part de recyclage, et au risque de redirection de production bas carbone vers l’Europe, Aluminium France considère qu’il convient d’appliquer une valeur MACF identique à la production d’aluminium primaire importée, que sa production contienne ou non une part recyclée.
Cette valeur par défaut pour tout type d’aluminium ne signifie pas l’attribution de CO2 aux déchets d’aluminium car :
- Le MACF n'est pas un outil de comptabilisation du carbone. Son objectif premier est la protection contre les fuites de carbone. L'approche proposée ci-dessus ne devrait être appliquée que pour attribuer un coût aux produits MACF importés afin de refléter le coût du carbone dans les produits en aluminium fabriqués en Europe.
- Il ne doit pas y avoir de distinction entre les différents types de déchet recyclé pour la méthode MACF. Les valeurs utilisées pour déterminer la taxe MACF ne doivent pas servir de base pour déterminer l'empreinte carbone des biens importés.
Proposition N°4 : Intégrer l’ensemble des chaînes de valeur des produits qui contiennent de l’aluminium
Une étude préalable de faisabilité de cette intégration est impérative. Cette étude est d’autant plus nécessaire qu’il faudra résoudre de nombreuses difficultés : traçabilité de l’aluminium intégré dans les produits finis, codes douaniers n’identifiant pas le métal, produits avec des matériaux combinés…
Point de vigilance : En termes de perte de compétitivité des secteurs concernés, il convient par ailleurs de ne pas non plus sous-estimer l’impact non-négligeable de cette nouvelle charge administrative imposée à des industries déjà fragilisées par la concurrence internationale
Proposition N°5 : Etendre le MACF aux matériaux concurrents. Leur intégration permettrait d’assurer un niveau de concurrence équitable.
Le MACF induit un effet haussier sur le prix de l’aluminium en Europe, qui est en concurrence avec d’autres produits actuellement non-soumis au MACF (exemples : plastique, PVC, verre,...).
Proposition N°6 : Mettre en oeuvre un mécanisme de « subvention à l’export »
La filière aluminium plaide donc en faveur d’un mécanisme de « subvention à l’export » ou d’exonération de MACF pour l’aluminium exporté, de manière à ne pas grever la compétitivité des produits européens dans les pays tiers. Un mécanisme douanier d’exonération, ou le maintien des quotas gratuits ou le remboursement des quotas d’émissions pour la quote-part de production qui est exportée hors de l’Union européenne pourraient être des solutions.
Comme rappelé précédemment, le MACF (via la disparition des allocations gratuites) renchérit le coût du métal produit en Europe, ce qui impacte la compétitivité de toute la chaîne de valeur à l’export. Sans solution à l'exportation, tout pays tiers important des produits demi-produits en aluminium ou des produits en aval (ou d'autres produits contenant de l'aluminium) aurait une forte incitation économique à couvrir sa demande en utilisant des produits non européens (qui seraient exemptés du paiement des coûts ETS ou d'une taxe MACF) car les produits européens seraient significativement plus chers, en raison des coûts carbone additionnels qu'ils incorporent.